Le château disparu

Paru dans le journal communal N°14 de février 1989, écrit par M. Charles Decaen Maire de Cambes-en-Plaine de 1965 à 2001.

A l’occasion de devoirs d’école beaucoup d’enfants viennent chaque année à la Mairie nous interroger pour obtenir des renseignements sur la vie et l’histoire de notre village. Histoire contemporaine mais aussi histoire plus ancienne.

Histoire riche par son évolution, ses personnages et son château, petite histoire qui se fond avec la grande, celle de la France, par l’importance prise par la famille des habitants du château.

Je propose donc à votre curiosité quelques photos, croquis et documents tirés du cadastre ou reconstitués pour vous permettre de mieux connaître Cambes en Plaine et répondre à une première interrogation « le château ». Le château que vous pourrez situer sur les extraits de plans qui illustrés le bulletin, avant de vous l’imaginer au cours de promenade dans le lotissement du Parc.

Aujourd’hui disparu le château bien abimé (sinistré mot du moment) comme l’ensemble des bâtiments et constructions situés sur le passage des combats aux armées allemandes par les alliés pour la libération de 1944. Le château fut rasé vers 1950 par la société Briqueterie Normande qui l’avait acheté aux derniers propriétaires, la famille « De Colombel » descendant en ligne direct des « De Mathan » dont l’histoire vaux d’être contée.

Au moment ou la Normandie s’apprête à de grande manifestations pour le 900ème anniversaire de la mort de Guillaume Le Conquérant, sachez que des « De Mathan », famille qui a vécu au château de Cambes en Plaine et dans plusieurs autres châteaux normands à cette époque du 11ème siècle, étaient compagnons de Guillaume le Conquérant en qualité de chevaliers bannerets à la bataille d’Hastings.

Au cours de ces 900 ans plus de 30 générations des « De Nathan » se sont fait connaître ou illustrés par des faits, des actes ou des titres authentiques sous tous les règnes et régimes jusqu’à nous.

Avant de vous en dire plus dans d’autres bulletins sur cette grande et nombreuse famille, aujourd’hui à l’aide de plans et croquis nous parlerons du château, de sa description, de son importance avec une certaine nostalgie pour ceux qui l’ont connu et des regrets pour tous je suppose.

Plan du château


Dessins de Charles Decaen

Origine 

L’Eglise de Cambes en Plaine dépendait de l’Abbaye d’Aulnay (dont les « De Mathan » étaient les bienfaiteurs). Elle comporte encore des pans de mur, ceintres de portes d’origine datant avec certitude des 12ème, 13ème et 16ème siècles, s’il y a eu construction d’église il y avait donc population et habitations. De plus si des « De Mathan » avaient accompagnait Guillaume en qualité des chevaliers bannerets en 1066, cela laisse supposer qu’il y avait troupes d’hommes d’armes suffisantes, bien structurées « des vassaux » pour entourer leur seigneur à l’armée « du suzerain », ceci bien avant la bataille d’Hastings. Et puis nous sommes prés de côtes d’où parti Guillaume le Conquérant pour l’Angleterre (Port de Dives-sur-Mer).

La construction représentée sur la photo datée des environs du 17ème siècle et fut remaniée plusieurs fois après avoir été construite à côté ou sur les fondations de l’ancienne construction (des caves voutées ignorées furent mises à jour lors des travaux d’égout de la rue du Château)
De plus une partie de l’ancienne ferme du château, aujourd’hui la Mairie, date du 16ème siècle de façon indiscutable, il y avait bien un ensemble de construction à cet emplacement.

Le château bâti dans une légère cuvette du terrain (amorce de la vallée du Dan) entouré d’un écrin de verdure dans une région peu boisé mais dans un parc d’une quinzaine d’hectares, clos de murs attenants ou incorporant l’église. L’ensemble de la construction, bâtiment de 50 mètres de façade en forme de U, présentait un bel équilibre orienté Sud-est. Le corps de logis comprenait deux pavillons important avec étages et charpentes à la Mansard, reliés entre eux par un bâtiment central avec poterne et fronton surmontant l’entrée principale.

L’ensemble de l’habitation tirant profit d’une dénivellation de terrain naturelle ou accentuée avait son accès de la façade Nord-ouest au moyen d’une véranda formant pont donnant de plein pied au premier étage dans les grands salons. Cette façade abritée des vents du Nord était le côté privé du château.

La façade Sud-est, façade principale de par sa disposition « appelée cour d’honneur » était encadrée de deux bâtiments latéraux servant de communs ou pièces annexes nécessaire à la vie journalière ou saisonnière.

Côté Sud : Logement du personnel, pièce de service, atelier, garage, écurie, étable, laiterie, logement de petits animaux, forge etc…
Côté Nord : Remise, réserve à fourrage et à bois, logement du matériel d’exploitation et de manutention, des gros animaux etc…

Ces deux bâtiments symétriques mesuraient 70 mètres de long avec étages abritant chambres et greniers.

La cours d’honneur se prolongeait par un pré entouré d’une allée jusqu’à l’entrée principale fermée par une grille imposante en fer forgé. L’entée était flanquée de deux douves entourées de piliers supportant des chaines.

Un réseau d’allées forestières parcourait la propriété et rejoignait 3 portes fermières de service, sorties différentes vers Anisy, Villons et Cambes.

Au-delà de cette grille, une large avenue de 4 rangées d’arbres plantés tous les 5 mètres bien dans l’axe de la demeure s’étendait vers l’Est sur un kilomètre confèrent à l’ensemble une allure majestueuse de calme et de puissance (cette avenue comportant plus de 800 arbres fut hachée par les tirs d’artillerie au cours de la bataille de juin et juillet 1944 : une importante concentration de blindés allemands barrant la route de Caen était dissimulée sur la hauteur de la Bijude. Cette route d’accès au château profitant d’une perspective impressionnante augmentée par le mamelon naturel du terrain permettait une découverte progressive du château et de l’ensemble au fur et à mesure de l’arrivée et de l’avance des pas.

Dictionnaire

VASSAUX : qui est en état de dépendance par rapport à un autre.
SUZERAIN : seigneur qui possédait un fief dont dépendait d’autres fiefs.
SEIGNEUR : Propriétaire maître absolu qui occupe le premier rang. Possesseur d’un fief, d’une terre.
MARQUIS : titre de noblesse entre celui de Duc et celui de Comte.
CHATELAIN : propriétaire d’un château.

Je vous laisse donc refaire avec moi cette découverte : d’abord le nid de verdure en toile de fond sous le ciel changeant de Normandie, puis les grandes cheminées de pierre blanche saillant sur les arbres et le toit, le toit bleu des ardoises, enfin la façade percée de multiples fenêtres au nombre infini de carreaux.

Les encadraient l’entrée et son fronton, surmonté d’une tourelle ajourée, coiffée d’un dôme abritant vraisemblablement une cloche dans le passé, les fenêtres bien proportionnées faisant ressortir les jambages, les linteaux incurvés et les chaines d’angles construit en pierre de Caen à la si douce couleur jaune paille. Dans les derniers pas, cachés par les arbres surgissaient les communs dans leur ordonnance impressionnante.

Suivant la saison, l’heure de la journée et le temps, ce château malheureusement disparu irradiait au soleil du matin, reflétait le calme et le repos au cours de la journée et semblait défier le temps (tel un lion tapi), sous le ciel gris et d’orage abrité des grands vents filtrés par les branches des arbres. Ces arbres dont quelques uns venus du monde entier, plantés là par les générations successives et dont les propriétaires se plaisaient à donner les noms et conter leur histoire.

Derrière les communs biens abrités au Sud, un potager et un pré planté plus une basse cour importante alimentaient les nombreuses personnes vivant au château.

Une chapelle privée était aménagée dans une pièce à l’intérieur du château.

Les bâtiments du groupe municipal sont des restes de la ferme de cet ensemble qui comportait encore une grange à la dîme, la boulangerie, les serres, une menuiserie, une orangerie etc…, tout un ensemble qui permettait de vivre pratiquement en autarcie.

Les châtelains étaient encore propriétaire des terres et nombreuses fermes des environs élevées en châtellenies ou marquisats successivement par St Louis en 1268, Louis XIII, Louis XIV, Napoléon 1er et Louis XVIII.

Après avoir connu une vie brillante, le château comportant un logement important (environ 40 pièces) pour loger la nombreuse famille des De Mathan, au fil des temps, était devenu trop grand pour les derniers propriétaires et surtout une charge trop lourde. Atteint par une certaine vétusté aggravée par les dégâts causés par la guerre, le château ne fut pas remis en état mais démoli et complètement rasé pour faire place à un projet de briqueterie qui ne vit heureusement pas le jour.

Je tiens à remercier Monsieur VAUDEVIRE Joseph qui par ses souvenirs d’enfance a contribué à corser ce récit ainsi que Monsieur DUCLOS de la bibliothèque de Caen pour l’intérêt qu’il porte à mes recherches.

Vous trouverez pour accompagner ce récit une photo prise de l’extrémité de l’actuelle rue de la haie d’épines. Au premier plan le haut du mur d’une douve située à gauche de la grille d’entrée non visible malheureusement. Cette photo ne montre qu’une partie du bâtiment principal le reste étant masqué par les arbres.

LEXIQUE
Ban Ensemble de vassaux tenus au service des armes en activité
Arrière-ban Vassaux tenus au servie des armes en réserve
Banneret Seigneurs qui comptait un nombre suffisant de vassaux pour les conduire à l’armée du Suzerain
Châtellenie Autrefois seigneurie et juridiction d’un châtelain
Marquisat Titre de marquis, terre qui comportait un titre parfois héréditaire
Gentilhomme Tout homme noble
Fief Domaine noble qu’un vassal tenant d’un seigneur à charge de redevance et en prêtant foi et hommage

Paru dans le journal communal N° 21 de mars 1997 - Auteur des cette page d’histoire : Mme Marie DESCHAMPS
Institutrice (maître d’application) et fille de la cuisinière qui travaillait au château

Un château niché dans un grand parc, près de l'église
Un château qu'on ne voyait pas de la route de Caen à la Délivrande.
Un château qu'une longue avenue partant de la Bijude, plantée, de chaque coté, d'une double rangée d'ormes, nous en montrait le chemin.
Un château qui émergeait du paysage verdoyant au fur et à mesure que nous avancions.
Un château dont la grille de fer forgé, toujours ouverte, flanqué de douves en marquait l'entrée.
C'est là que nous nous arrêtions.
Ce n'était pas un château prétentieux. Il était là, calme et serein, tout en largeur, sans tours ni tourelles, avec un seul étage dans sa partie centrale et deux étages dans ses parties latérales.
Il reposait là, au milieu d'un parc merveilleux entouré d'un mur discret qui courait vers Mathieu, revenait vers la route de Villons, pour redescendre vers l'église, traverser le Bourget repartir vers la gare.
Ce château que nous aimions et qui a disparu après 1944.

C'était le château de Cambes. 
Venez avec moi,

Franchissons la grille, prenons l'allée de droite, l'allée d'honneur, celle des invités, enfonçons nous sous les grands arbres. Il fait sombre ... continuons ... continuons ... nous arrivons en pleine lumière ... Une immense pelouse, des massifs, des rampes fleuris de chaque coté de la véranda : c'est la façade du château.
Entrons dans la véranda qui enjambe un fossé et nous nous trouvons directement au premier étage, au centre du château. Avançons vers le grand salon où nous sommes attendus par la famille de Colombel.
C'est là que vivaient Monsieur de Colombel, officier en retraite et Madame entourés de leurs filles alors étudiantes. Leurs fils Eric et Ivan, leurs neveux, tous militaires de carrière, revenaient au château à chaque permission.
Ils y menaient une vie très simple, rythmée par les réunions de famille, les fêtes religieuses et patriotiques, tout en respectant les traditions de leurs ancêtres.
Chaque enfant avait sa tâche dans l'exploitation agricole dont la superficie augmentait au fur et à mesure du déboisement du parc.
C'était une famille très unie dont "Madame" était l'âme.
Sa distinction mais aussi sa simplicité, sa bonté, son courage, l'attention qu'elle savait porter à autrui rayonnaient et éclairaient non seulement les siens mais tous ceux qui travaillaient au château.
Je la remercie d'avoir permis que nous puissions vivre au château ou y passer des vacances près de nos parents. C'est avec beaucoup d'émotion que je revis ces souvenirs d'enfance.
Et maintenant promenons nous dans le parc.
Il est si beau, il est si grand, on y est si bien.
Vous pouvez courir sans crier, car la c’est la règle, vous perdre au détour des allées, cela n’a pas d’importance, vous ne risquez pas de vous échapper.
Vous ne pourrez sortir par la porte de Villons : elle est toujours fermée. Celle des marronniers, près du Colombier est souvent ouverte, mais attention, on vous verrait et vous n’iriez pas loin. Si vous ne voulez pas être vus … venez avec moi, je connais une petite porte, dissimulée dans les taillis, prés de l’église. Poussez. Là… nous arrivons près des tombeaux de la famille Valori, les parents de Madame de Colombel.
Voyez en face, l’entrée privée de l’église réservée aux habitants du château. Si j’en avais la clef, vous seriez bien surpris de monter l’escalier et d’arriver à la tribune qui domine l’intérieur de l’église.
L'angélus vient de sonner midi.
La cloche du château a tinté annonçant que "Madame est servie" et qu'il faut passer à table.
Revenons sur nos pas car c'est le moment de nous diriger vers la cuisine si nous voulons faire connaissance avec le personnel de service.
Ils sont tous là, assis autour d'une grande table massive.
Je vais vous les présenter.
Voici Elsa, une alsacienne qui rira bien avec vous et qui chantera "le vieux coq de France de le cathédrale de Strasbourg" : c'est la femme de chambre. Elle est délicieuse avec les enfants et pédagogue sans le savoir. Elle a chanté notre jeunesse.
Voici, Maria venue de l'Orne : c'est elle qui s'occupe de la ferme. Elle trait les vaches, tourne l'écrémeuse, fait le beurre chaque jeudi, dans une grande baratte. Elle est heureuse de vous ouvrir la porte de "sa" laiterie et de vous montrer le beurre qu'elle a moulé en plaquettes marquées au nom du "Château" de Cambes et qu'elle portera au marché de Caen.
Voici Victorine la cuisinière : c'est ici son domaine, prés du grand fourneau où mijotent des plats simples et bons, dans des casseroles en cuivre. C'est "Madame qui prépare le menu, avec elle, chaque matin. Ne la dérangeons pas car c'est l'heure du repas et elle est très affairée.
Voici Charles, le jardinier, qui apporte, chaque jour, à la cuisine un plein panier des plus beaux légumes du jardin. Il y cache souvent une petite fleur pour sa femme Victorine.
Avec lui nous visiterons le jardin et nous apprendrons beaucoup de choses.
Et voici le jeune André, le complice des enfants qui a bien envie de jouer avec vous.
Dites bonjour à Joseph et à Émilie et au revoir à tous.
Laissons-les en famille.
C'est vrai qu'ils savaient vivre ensemble, simplement, sans problèmes, chacun respectant l'autre, unis par une grande solidarité.

Marie DESCHAMPS